La Chine a accueilli l'an dernier pour la première fois, à Shanghaï, l'Exposition Universelle. Son thème, "Meilleure ville, meilleure vie", sonnait comme une promesse. Quatre jours à parcourir l'évènement n'auront pas suffit à le visiter dans son intégralité mais furent suffisant pour mieux comprendre comment l'urbanisme était appréhendé à travers le monde.
Le site de cinq kilomètres carrés, à proximité en métro du centre-ville, a été pensé dès le départ comme une future greffe de l'espace urbain existant. Routes, ports, ponts et maillages urbains ont été envisagés en fonction des futurs usages du quartier. Cet assemblage de structures imposantes a cependant oublié la question de la durabilité dans son aménagement. Espaces de biodiversités réduits à néant, imperméabilisation massive des sols, faible recours aux énergies énergies renouvelables, gestion archaïques des déchets... Au niveau écologique, le constat est sévère. Quant aux questions de proximités fonctionnelles, sociales et d'équilibre économique de l'opération, il convient d'attendre la requalification du lieu, qui peut-être prendra ces priorités en compte. Le plus grave est cependant invisible. Il s'agit du mépris total à l'égard des habitants originels du lieu de l'exposition. Expropriés et expulsés, ils ont subi le totalitarisme des prises de décisions chinoises dont vous retrouverez un exemple dans cet article du Monde. En appliquant le leitmotiv "Raser pour reconstruire", Shanghaï détruit massivement son histoire et sa culture.
Une fois conscient de l'invraisemblable dualité entre le thème de l'exposition et les modalités de sa création, il est plus aisé de ne pas se laisser berner par l'immense opération de communication à laquelle nous avons assisté, relayé dans ce reportage de France 24.
Toutefois, plusieurs bonnes surprises étaient disséminées parmi les pavillons thématiques et parmi les pavillons des pays participants.
Aperçus des pavillons de pays les plus pertinents
Premier constat qui ne surprend guère; l'urbanisme est une discipline qui se communique difficilement. La majorité des pays, rassemblés par continent, se sont contentés de promouvoir les atouts touristiques aux chalands chinois (70 millions tout de même!). En effet, (trop) peu se sont emparés du thème de l'exposition. Néanmoins ceux qui ont fait cet effort ont parfois brillé par leur ingéniosité.
- Europe
France
Cocorico, le pavillon français a été le plus visité, notamment grâce à la configuration ingénieuse du bâtiment permettant un débit important de visiteurs. Son thème, "La Ville sensuelle", valorisé par Jacques Ferrier, était malheureusement creux en termes de réflexion urbaine. Les émotions ont davantage laissé la place à la promotion des voitures, accessoires de modes et bijoux français. Probablement porteurs pour le tourisme hexagonal, ce choix n'aura pas aidé les chinois à mieux comprendre notre vision de la ville. Dommage.
Espagne
La démonstration la plus forte de ce pavillon était un bébé de plusieurs mètres de haut animé avec un réalisme surprenant. Il peut symboliser le grand espoir de l'Espagne dans les générations futures ou une représentation de la ville comme une entité démesuré dont il faut s'occuper si l'on souhaite son épanouissement...
Pays scandinaves
Comme nous pouvions nous y attendre de la part de ces pays que nous citons souvent en exemple, le thème "Meilleure Ville, Meilleure Vie" a été scrupuleusement respecté. La Norvège a axé son pavillon sur les vertus du bois comme matériau et combustible, à même d'offrir une alternative renouvelable aux composés fossiles pollueurs dont il est un producteur européen important. Le lien entre la nature et la ville est valorisé comme facteurs du bien-être collectif. La Suède et le Danemark partagent cet idéal. Ils accentuent davantage leurs messages sur les questions de modes doux (notamment le vélo), de participation citoyenne, d'équilibre social et fonctionnel nécessaires au sein d'une ville.
Allemagne
Le pavillon allemand est sans conteste le plus juste dans le message et le plus remarquable dans son architecture (qui évoque à elle seule la complexité d'une ville). Pour que le public comprenne mieux l'idée allemande de la ville, le chemin de l'exposition nous montre les technologies écologiques, les cultures urbaines du pays ou encore ses démarches exemplaires (dont bien évidemment le quartier Vauban). C'est dans l'attraction finale du pavillon que réside le message le plus percutant : le citoyen est l'énergie de la ville. Le public était regroupé sur les parois internes d'un cylindre creux d'une trentaine de mètres de haut par vingt mètres de large, et ce sur plusieurs étages. Au centre, une boule de 3 mètres de diamètre était suspendue et actionnée, en sons, lumières et mouvements, en fonction des cris coordonnés des personnes présentes. Ainsi, l'intelligence et l'énergie collectives des individus présents donnaient vie à la ville symbolisée, coeur de toutes les attentions. Une belle métaphore de la participation citoyenne comme moteur du projet urbain!
- Amériques
Canada
Ce pavillon a choisi de mettre en avant les théories sur l'urbanisme de Jane Jacobs, que je partage tout particulièrement. Elle défendait une vision de ville organique qui, en tant que système complexe, a tout intérêt à s'inscrire dans une dynamique de biodiversité sociale, fonctionnelle et culturelle. La compréhension de l’enjeu urbain passe par les citoyens. Elle estimait ainsi "que l'inclusion sociale devrait être au coeur de la planification urbaine; le développement urbain fondé sur les valeurs démocratiques crée des villes où règne l'harmonie; il est préférable de résoudre les problèmes surgissant dans les villes par une collaboration entre les individus, les communauté, les entreprises et le gouvernement". Instructif.
Etats-Unis
La file d'attente, littéralement animée par un chauffeur de salle, et ponctuée par la mise en valeur de nombreux logos des firmes américaines (le bras de fer économique qui s'amorce entre les deux premières puissances mondiales n'y est pas pour rien), permet de rentrer dans l'ambiance spectacle du pavillon. Composé d'une succession de projections cinématographiques, le parcours permet au public chinois, accueilli par les allocutions d'Hillary Clinton et de Barack Obama, de percevoir les Etats-Unis comme une entité amie en laquelle on peut faire confiance. Le message urbain est simple, mais en totale contradiction avec les pratiques chinoises. Il exprime la force de l'investissement citoyen dans son quartier lorsqu'elle est accompagnée de volonté et de solidarité. Le tout est expliqué dans un court-métrage où une jeune fille transforme une friche en jardin, malgré les difficultés, et grâce à ses voisins. Efficace.
Brésil
Le parti pris du Brésil n'a pas été, comme on aurait pu s'y attendre, de mettre en avant ses audaces urbaines d’antan. Il n'y a pratiquement pas de trace de Brasilia ni de son architecte, Oscar Niemeyer. Les leçons des erreurs passées semblent cependant tirées et le modèle urbain moderne prend en compte la participation citoyenne, l'intégration de la nature en ville ainsi que les enjeux sociaux et économiques. Une grande part du message est consacré aux technologies employées dans le pays (OGM et nucléaire en tête...) présentés comme des "investissements verts". Chacun jugera.
Pérou
Malgré le peu de moyens dont disposait ce pavillon, il a fait preuve d'une grande pertinence en ayant peut-être été le seul à parler de la problématique très forte de l'approvisionnement alimentaire des villes. Une réflexion indispensable mais encore embryonnaire.
- Asie
Indonésie
La biodiversité comme priorité écologique a été le thème principal retenu par l'Indonésie (comme pour la Bolivie). C'est assez ironique lorsqu'on sait qu'il s'agit du numéro 2 mondial en terme de déforestation. L'exposition était toutefois honnêtement abordée et avec un soucis pédagogique réel. Cela aura probablement permis au public d'être sensibilisé à cet enjeu prioritaire, de mieux comprendre l'impact des villes sur l'empreinte écologique mondiale et leurs dépendances vis-à-vis des territoires producteurs de ressources.
Japon
Ce pavillon a remporté un immense succès grâce à une mise en scène impressionnante de technologies et un goût prononcé pour la poésie. Le parcours est composé de plusieurs spectacles dont une pièce de théatre Nô, un morceau de violon joué par le robot Toyota ou encore un film sur les technologies futuristes créées pour assister l'humanité (dont un robot de service aux traits féminins...). Le Japon, à la pyramide des âges la plus vieillissante de la planète, concentre ses réflexions sur les enjeux de mobilité et d'énergie. Cela s'est notament traduit par la mise en avant de véhicules propres, de sources de productions énergétiques alternatives, d'inventions pour faciliter la vie des personnes âgées, etc.
Chine
Ce pavillon monumental a été construit en deux parties, la première en rez-de-chaussée réunissant les 22 provinces de Chine et la deuxième, concentrée dans les étages, qu'il m'a été impossible de visiter en quatre jours pour cause d'affluence exceptionnelle, ce qui est révélateur de l'intérêt qu'il a suscité. Ceci dit, le bâtiment, colossal, adresse déjà à lui seul un message clair. Sa masse imposante, en forme de pyramide inversée, donne l'image d'une vague rouge gigantesque à l’assaut des pavillons du reste du monde. Une nouvelle puissance économique est née et son déploiement ne sera achevé que dans la mesure où elle remplira son défi énergétique.
Les pavillons thématiques
A l'entrée sud était installé le gigantesque bâtiment accueillant les différents pavillons portant sur les thématiques de l'urbanisme contemporain. Un espace portait sur la notion d'accessibilité en ville, caractérisée par des œuvres d'arts offrant bien peu de propositions concrètes. L'espace consacré à la gouvernance était nettement plus fourni. La Chine a adopté un discours ambivalent sur la nécessité d'intégrer dans les projets urbains la participation citoyenne alors même qu'elle n'y fait jamais appel. Le hall d'entrée était ainsi parsemé de photos des ouvriers qui participèrent à la construction de l'exposition mais pas un mot sur les milliers d'expropriations de chinois vivant sur place auparavant... Plusieurs outils méthodologiques furent présentés pour intégrer "l'expertise d'usage" citoyenne aux projets d'aménagements, il reste à espérer qu'ils soient employés bientôt dans le pays le plus peuplé du monde!
Sur l'autre rive, les thèmes abordés tournaient autour de la culture de l'urbanisme, son passé, son avenir, et les enjeux qui sont les siens. Nous pouvons toujours y visiter The Footprint Museum retraçant l'histoire des villes du monde et de leurs liens avec nos civilisations. Un pavillon était consacré au pic pétrolier mais sans considérations réalistes de la décroissance énergétique à laquelle nous devons faire face (intelligemment analysé sur le site Oilman). Un pavillon consacré au futur faisait place aux utopies urbaines créées par les futurologues et les artistes de toutes époques. Les perspectives exposées étaient assez binaires, ancrées soit dans une société en proie aux cataclysmes soit dans une société écologistes et/ou technologistes.
Plusieurs pavillons régionaux présentaient également leurs points de vues. L'Alsace a pris soin de réaliser un bâtiment exemplaire (végétalisation des façades, énergies renouvelables,...). Le pavillon Rhône-Alpes s'est concentré sur le message de la multipolarité nécessaire à l'équilibre de la vie citoyenne. Différentes rencontres hebdomadaires furent organisées sur des thématiques variées, comme la ville post-carbone ou la construction durable.
En conclusion, nous pouvons nous réjouir que l'ensemble des thèmes de l'urbanisme durable aient été abordés même si ce fût de manière plus où moins heureuse. La gouvernance partagée, l'intrication des milieux naturels et de la villes, les proximités sociales et fonctionnelles et l'économie ont retenu l'attention des urbanistes dans le monde entier. Avec plus d'échanges, d'expériences nouvelles et de projets novateurs, nul doute que la ville de demain saura remplir les défis qui attendent l'humanité!
Je vous invite enfin à découvrir ci-dessous l'exposition en images et à la visiter, du ciel, grâce à la carte accessible sur la page "Go Expo with Google".
Emmanuel Bucki
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