21 juin 2010

Bhaktapur, la ville piétonne


Pour entamer le cycle des articles sur l'urbanisme durable en Asie, j'ai choisi de vous décrire la ville royale de Bhaktapur, au Népal (lien carte). Perle de l'organisation urbaine du peuple Newar, cette cité a su préserver son caractère médiéval et son patrimoine exceptionnel tout en s'adaptant aux exigences contemporaines. Comment a-t-elle su concilier tous ces enjeux?




Présentation de Bhaktapur

  • Nombre d'habitants: 165000 (61400 en 1991)
  • Superficie: 6,88 Km²
  • Densité: 247 habitants à l'hectare
Bhaktapur (ville des dévots), à 12 kilomètres à l'est de Kathmandu, est la mieux conservée des 3 citées royales de la vallée de Kathmandu. Elle a été fondée par le roi Ananda Deva, vers 1160, et construite en forme de conque, symbole de Vishnu. Appelée aussi Bhadgaon (le village du riz), elle a conservé un aspect médiéval, et possède de nombreux temples et demeures des XVIIèmes et XVIIIèmes siècles. Véritable ville musée, elle possède une étonnante ambiance de gros bourg paysan, avec de nombreuses coutumes hautes en couleurs. Elle est le fruit du savoir faire architectural et urbain du peuple Newar, le plus anciennement installé sur ce territoire. C'est une des ville les plus dense du pays.

Jusqu'au XVIème siècle, elle a dominé politiquement et économiquement tout le Népal et a maintenu cette position jusqu'à la conquête Gorkha en 1769. Depuis ce temps, Bhaktapur a toujours constitué un monde à part, avec une autarcie économique mais aussi une féroce indépendance.

La plupart des personnes âgées ne comprennent pas le nepâlî mais le Newari, dialecte considéré comme le plus ancien du Népal. L'architecture et l'organisation de la ville révèlent tout l'art Newar de la planification. Les quartiers s'articulent autour d'une place centrale avec un puits où une source publique et des autels religieux attitrés. Ces espaces servent également à protéger les produits des récoltes. Dans le passé, la ville avait acquis son importance grâce à sa position privilégiée sur l'axe Inde-Tibet. Les taxes imposées aux marchandises lui apportaient une grande richesse. Les principaux monuments de la ville se trouvent autours de deux places, la place Dattatreya à l'est et la place Thaumadhi à l'ouest.

La place Dattatreya, rectangulaire, est bordée de monastères et de vieilles maisons. Cette place regroupe 3 temples importants, le Bhimsen, le Dattatreya et le Pujari Math. Le temple de Bhimsen est dédié au dieu du commerce et a été construit en 1605, le temple Dattatreya, construit au début du XVème siècle avec ses mezzanines percées de fenêtres à encorbellements. Il aurait été construit dans le bois d'un seul arbre. Il est dédié au dieu de la science et des rites magiques. Le plus beau bâtiment est le monastère de Pujari Math, plus connu sous le nom de maison des paons. Il possède de superbes boiseries d'une étonnante richesse alliant des thèmes de formes géométriques et des scènes figuratives comme les paons de sa façade, leurs plumes formant des rosaces de bois, entre des linteaux très ouvragés. Plus loin se trouve le Wakupati Narayan, temple dédié à Vishnou dont l'entrée est gardée par deux lions de pierre.

Autour de la place Thaumadhi se trouve un ensemble architectural important de la ville, avec le temple Bhairavanath, le temple de Nyatyapola et le Durbar Square. L'entrée de celui ci se fait par le Sundhoka, la porte d'or, chef d'œuvre de l'orfèvrerie népalaise. Sur la place, face au palais, se trouvent les petits temples de Durga, en pierre, de Batsala et de Pashupatina. Une ruelle permet de rejoindre la seconde partie de la place royale. Elle est dominée par le temple Nyatyapola, le plus haut du Népal, avec ses 5 terrasses et ses 5 toits s'élevant à plus de 40 mètres de haut. Achevé en 1702, sa structure impressionnante a résisté au tremblement de terre qui, en 1934, fit pourtant des ravages considérables au reste de la ville. A côté se trouve le Bhairavanath, sanctuaire qui protège le pays. C'est l'un des rares temples qui présente une base rectangulaire, il est dédié au Dieu de la guerre.

Malgré la présence de maisons à plusieurs étages et de nombreuses boutiques et échoppes alignées le long de ses ruelles étroites, Bhaktapur ressemble à un grand village. Les activités qui s'y déroulent sont surtout de nature artisanale, commerçante... et même agricole. 


L'Urbanisme Newar


Au fil des siècles, les Newar ont développé une culture urbaine sans pareil dans l'Himalaya. Les cités et bourgades de la vallée de Kathmandhu forment un réseau compact de places, de cours, de ruelles tortueuses (mêmes de «traboules» ), de bassins et de temples, qui entourent généralement une place centrale. Les méthodes de construction modernes n'ont pas affecté cette structure traditionnelle.

La demeure familiale a constitué le point de départ du dévelopement urbain. De riches Newar firent des maisons de briques et richement décorées. La maison Newar devient de plus en plus pure au fil des étages et peut en comprendre jusqu'à 5, chacun ayant sa fonction propre. Le chhyali (rez-de-chaussé) est réservé aux activités de subsistances (étables, commerces). Le Matta, (1er étage) est destiné à l'accueil des visiteurs. Le chota (deuxième étage) abrite les chambres ainsi que les réserves alimentaires et possède de plus grandes fenêtres pour la lumière et la ventilation naturelle. Les derniers étages (dont le grenier et le toit terrasse) abritent la cuisine, la salle à manger et la salle de prière (pujakuthi). Les bâtiments sont systématiquement surélevés et sont jouxtés de "varangues" afin de pouvoir continuer à vacquer à ses occupations, même lorsque les moussons transforment les rues de la ville en rivières...

La vie communautaire apparaît dès lors que plusieurs de ces maisons s'articulent autour d'un chowk (cour ou place). Celui-ci devient alors le centre de vie avec un point d'eau, un temple ou un sanctuaire. Les hiti (bassins) absorbent les pluies diluviennes issues des moussons et fournissent aujourd'hui encore l'eau pour pour tous les usages.

Ces espaces de proximités forment la base de l'organisation de la vile comme autant de polarités de la vie de la cité. Bhaktapur, bâtie sur ces principes, se prête particulièrement bien à la circulation piétonne. La ville, en grandissant, applique ce modèle de manière fractale en disposant progressivement de plus grands chowk et hiti. Le bio-îlot de Philippe Madec trouve ici une intéressante application.



Bhaktapur Devlopment Project.


Si l'on peut observer la ville dans cet état aujourd'hui, c'est grâce au projet de réhabilitation global initié par l'Allemagne dans les années 70, le Bhakatapur Devlopment Project, dont bénéficie la cité. Cela s'est notamment traduit par la mise en place d'un réseau d'égout à l'échelle de la Ville (ce qui constitue encore aujourd'hui une exception au Népal), le pavage des rues et par l'instauration d'une zone piétonne sur toute la surface du centre ville historique.
L'absence de circulation de véhicules motorisés dans le coeur accentue le caractère médiéval de la cité. Elle participe également de la préservation du patrimoine, de la diminution de la pollution de l'air (problème de santé majeur dans le pays) et d'une forte limitation des nuisances sonores. L'accès depuis Kathmandu est aisé en transports collectifs qui disposent d'aires de stationnement en divers points de la périphérie de la ville.
De plus, l'accès à la ville est conditionnée pour les visiteurs par le paiement d'une contribution pour le financement de la préservation du patrimoine architecturale de la ville. Ce projet a ancré la ville dans son organisation médiévale et a initier la préservation et la rénovation continue du site.


Aujourd'hui, Bhaktapur trouve son équilibre économique et social tout en préservant son patrimoine culturel et naturel. Les activités traditionnelles trouvent encore leur place dans la ville tout en accueillant progressivement les moyens modernes (électricité, internet). Cependant, même si la population jouit de de cette attention toute particulière portée à l'histoire de la ville, il conviendrait de demander aux habitants comment ils souhaiteraient voir évoluer leur cité. Le risque qu'encoure Bhaktapur est de se transformer en musée figé, en décalage par rapport aux attentes de ses citoyens.


Illustrations de l'organisation de Bhaktapur.






Sources:

  • Photos: E. Bucki
  • Musées et guides locaux
  • Guides de voyages (Lonely Planet, Routard)
  • Regards croisés sur le patrimoine dans le monde à l'aube du XXIème siècle, de Maria Gravari-Barbas et Sylvie Guichard Anguis, Presses Paris Sorbonne, 2003, 952p. Précisions sur Bhaktapur des pages 693 à 712.

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