10 août 2010

Quand Jakarta Jardine

Le deuxième article du cycle Asie vous emmène visiter la capitale Indonésienne; Jakarta (lien carte). Son développement rapide n'a pas épargné les vestiges coloniaux et, pire, s'est régulièrement effectué au détriment de ses habitants. Cependant, elle cherche aujourd'hui à réagir, mais comment?

Perspective historique
C'est à la fin du XVIe siècle que la Compagnie hollandaise des Indes orientales construit une ville fortifiée, Batavia, qui lui servira de comptoir commercial. Les Hollandais aménagent des canaux de drainage et, plus tard, un réseau ferré urbain très étendu. En 1930, Batavia comprend déjà un quartier chinois et un quartier européen moderne entouré de villages ruraux (kampungs). En 1945, les combattants anticolonialistes proclament l’indépendance de l’Indonésie et rebaptisent leur capitale Jakarta. 
La ville est passée de 500 000 habitants en 1930 à 1500 000 en 1950 puis à 8 millions en 1998. Jabotabek, ou le grand Jakarta, abrite aujourd'hui 12 millions de personnes pour une superficie de 660 km². Cette très importante croissance démographique s'est accompagnée de l'émergence de deux problèmes principaux:  une gestion de la distribution de l'eau  insuffisante et une circulation sclérosée.

Quand le manque d'eau crée des inondations
Jabotabek fait depuis 1967 l’objet d’un Schéma Directeur d’Aménagement Urbain qui a progressivement inclus dans ses objectifs la prise en compte de l’environnement et en particulier la préservation du cycle de l’eau. Depuis la période de la Batavia hollandaise, la Ciliwung et la dizaine d’autres rivières et canaux qui traversent la cité ont été la principale source d’approvisionnement en eau. La distribution municipale d'eau, confiée dans les années 20 à une entreprise municipale (PAM JAYA) ne couvre que 30 % de la population. Le reste des habitants s'approvisionne dans les eaux souterraines.  Cependant, La Banque mondiale appelle à la fin du pompage profond des nappes phréatiques, qui contribue à l'affaissement général de la ville. "Si rien n'est fait aujourd'hui sur le problème des nappes phréatiques, des quartiers de Jakarta vont s'enfoncer de cinq mètres (d'ici 2025)", met en garde JanJaap Brinkman, un spécialiste de l'organisation néerlandaise Delft Hydraulics. En 2025, affirme-t-il, "la capitale indonésienne sera globalement à un niveau de 40 à 60 centimètres plus bas qu'aujourd'hui». Ce phénomène, corrélé à la montée des océans, menace à court terme la ville de graves inondations.

La circulation contre les piétons
Jakarta donne une place prépondérant à la voiture individuelle, créant un climat inhospitalier aux piétons. L'absence quasi-systématique de trottoirs pousse tout à chacun à se déplacer uniquement par véhicules motorisés (où le tuk-tuk moderne devient roi). La municipalité tâche de résoudre ce second problème par des modes assez conventionnels: c'est à dire en se dotant progressivement d'infrastructures de transports en commun (voies réservées aux bus, métro, transport fluvial urbain, etc.). Il est à parier que l'augmentation annoncée des prix de l'énergie diminuera également le trafic. 


Cependant, même si la circulation douce en sera favorisée, cela ne suffira pas à redonner aux habitants leur place d'acteurs de coeur de quartiers. C'est pourquoi d'autres projets apparaissent, qui cherchent à répondre simultanément à toutes les exigences de l'urbanisme durable. 


Parmi les solutions développée, il en est une particulièrement pertinente qui répond à tous les défis ci-dessus, et plus encore. Il s'agit d'un programme pour inciter tout citoyen qui le désire à cultiver les terres dormantes de la ville, soit 2000 hectares (la superficie comptabilisée par la municipalité comme terres en friche du grand Jakarta ). Mille hectares ont déjà été pris d’assaut par les citoyens qui ont rapidement compris l'intérêt que cela pouvait représenter pour eux. Quels sont les atouts de ce projet?

Une friche urbaine de Jakarta


Atout économique.
L'initiative vise à créer des emplois et à augmenter la production agricole en milieu urbain. Cette nouvelle activité crée de nouveaux revenus pour les citoyens qui parviennent à gagner entre 1 et 2 millions de roupies par mois [80 à 160 euros] avec le produit de leur vente, sans compter les ressources alimentaires crées pour leur famille. 
La ville y trouve également son compte en transformant des charges d'entretiens de ces espaces en baux.
Atout sanitaire et social
La réduction des terrains vagues supprime autant de poches d’eaux stagnantes où les moustiques de la dengue pondent leurs œufs. De plus, ces espaces, souvent sources d'insécurités (ce qui n'est pas un mince problème à Jakarta), se transforment en lieux de partages et d'activités. De zones à éviter, ces terrains deviennent d'attractifs cœurs de quartiers, rythmant et animant la vie des riverains.
Atout environnemental
Le meilleur moyen de stabiliser le niveau de la nappe phréatique est de l'alimenter par tous les moyens en eau de surface. L'agriculture urbaine est un moyen de recréer dans la ville des espaces nécessaires perméables à l'eau. A la différence de la plupart des revêtements qui asphyxient les sols (comme le goudron), la pleine terre laisse l'eau s'infiltrer et réintégrer le cycle naturel de son écoulement. 
Atout participatif
Le plus remarquable dans cette démarche est la manière avec laquelle les citoyens sont appelés à s'investir de nouveau dans leur milieu de vie. La municipalité a décidé de faire confiance aux habitants de la ville pour jardiner  Jakarta. C'est un exemple réussi de gouvernance partagée où les élus donnent l'occasion aux habitants de se réapproprier leur ville, participant au bien être commun. Les ingrédients d'un regain de vie au sein des différents quartiers sont offerts sur un plateau d'argent.

Il reste néanmoins quelques risques qui pèsent sur cette démarche, dus aux particularités administratives indonésiennes. Ainsi, beaucoup des terres concernées appartiennent à des propriétaires privés (le reste à la municipalité). Le candidat agriculteur signe un accord en vertu duquel il s'engage à libérer la terre immédiatement si le propriétaire veut la récupérer. Cette formalité a l’avantage d’être simple, mais elle constitue un obstacle à l’aide fournie par le gouverneur qui craint que l’agriculteur, à qui est donnée une pompe à eau, ne soit forcé d’abandonner son champ au bout de quelques mois. Seules les années permettront d'avoir le recul nécessaire pour évaluer les retombées de ce programme.


Durable par excellence, ce projet urbain pourrait tout à fait voir le jour en Europe. Nos villes redécouvrent actuellement leurs anciens jardins ouvriers, friches et autres terres délaissées, mais ne savent pas toujours leur donner une fonction. C'est en Asie que l'on trouve le chemin à suivre, même si certains ont déjà amorcé une réflexion sur ce thème (à l'instar de Gilles Clément). Ainsi, Marie Eisenmann, co-fondatrice de l'association canadienne "Les Urbainculteurs", nous précise: 
"Contrairement à l'idée généralement admise, les villes ne manquent pas d'espaces cultivables. Il suffit de voir les espaces existants autrement. Balcons, terrasses, rambardes, murs, toits plats, cours, terrains vagues, espaces gazonnés : autant de lieux qui peuvent accueillir des jardins, petits ou grands, en pleine terre ou en contenants. Tant de bénéfices à la clé : verdissement et embellissement urbain, éducation au jardinage, production d'aliments locaux et sains, entres autres !"


Êtes vous prêts à devenir à votre tour des urbainculteurs?


Sources:
  • Journal Kompas (par le Courrier International)
  • Guides historiques de la ville de Jakarta
  • Diagnostic en marchant (photos)
  • Articles web

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